L'histoire de GlennPowell Gardiner , P/O RCAF, SQ.35
Récit personnel de G. Gardiner traduit de l'anglais par P.Save
Ce récit est l'histoire du dernier vol du bombardier Halifax II,W1050, immatriculé TL*F, appartenant au squadron n°35 de la RAF.
Il avait décollé de sa base de Linton-On-Ouse dans la nuit du 6 mai 1942.
Mon nom est Glenn Gardiner.
A ce moment, j'étais l'Officier/Pilote commandant de bord de l'avion. Notre équipage était expérimenté. Personnellement, j'en étais à ma 22 ème mission, et le reste de l'équipage en avait presque autant à son actif.
Notre décollage s'est déroulé sans incident. Nous avons grimpé régulièrement avec notre pleine charge de bombes vers notre objectif qui, ce soir là, dévait être Stuttgart.
A 13000 pieds (4400 mètres), vers environ 00h15, je me penchai pour enclencher les turbos-compresseurs lorsqu'une explosion concentrée d'obus de canon déchira l'avion. Les commandes, le gouvernail de profondeur et celui de direction avaient été rendus inutilisables et le feu se propageait depuis l'aile droite. L'alarme d'évacuation retenti, mais l'interphone était hors d'usage.
Le navigateur, sentant que l'avion avait été mortellement frappé a immédiatement ouvert la trappe d'évacuation, mit son parachute et sauta. Notre second pilote était un squadron-leader, de retour des Indes, qui était venu avec nous pour se familiariser à nos missions opérationnelles. Il semblait hésiter à bouger mais je l'ai littéralement poussé vers la trappe d'évacuation. Il a mis son parachute et était prêt à quitter l'avion lorqu'il se retourna et me tendit un parachute alors que je descendais vers la trappe pour sortir de l'avion.
Tout cela s'est passé en quelques secondes mais, le temps que j'atteigne la trappe d'évacuation, j'étais soumis à une telle pression (force centrifuge) que j'étais incapable de fixer les crochets de mon parachute. Alors que je mettais un pied au bord de la trappe, la pression a arraché ma botte de vol. D'une certaine manière, j'avais assez de force pour me forcer à plonger dans le vide.
Je "m'ejectai" donc pour quitter cet avion dont je savais qu'il allait exploser dans quelques secondes.
D'un bras, je tenais le parachute accroché et de ma main libre j'ai agrippé la poignée en forme de D qui ouvre le parachute. Comme je m'y attendais, l'avion n'a pas tardé à exploser. J'ai tiré la poignée et le parachute extracteur s'ouvrit tirant avec lui le parachute principal. Puis ça a été "Wap, Wap, Wap" alors que je descendais au travers des arbres à feuilles persistantes. L'épaisseur des arbres a amorti ma chute et me déposa sur mon dos, au sol.
Tout ceci s'est passé d'une manière incroyablement rapide, à tel point que j'ai pensé que nous étions sur une colline très élevée. Dans l'obscurité, j'étais cloué sur place. Je ne pouvais pas croire que je ne souffrais d'aucune blessure d'aucune sorte mais je me suis examiné pour m'assurer que j'allais bien. J'ai trouvé une petite lampe de poche et d'autres articles de secours que nous transportions dans notre tenue de vol.
Je m'attachais à enfouir mon équipement de vol et mon parachute lorsque j'ai entendu, au loin, un appel à l'aide. J'ai gardé le silence, espèrant que l'appel serait entendu par un autre membre de l'équipage. Au bout de quelques minutes j'ai finalement repondu à l'appel à l'aide qui provenait de mon navigateur. En faisant appel à lui et en écoutant sa réponse, j'ai fini par le trouver sous un grand arbre. Il s'était libéré de son parachute et s'était laissé tomber croyant qu'il était près du sol. Il a fait une chute de 10 à 12 pieds (soit 3 à 4 mètres) et s'est fracturé une cheville.
J'ai construit un feu pour nous aider à nous réchauffer et j'ai trouvé quelques anti-douleurs.
Nous nous sommes installés et nous avons essayé de nous remémorer cette douloureuse expérience. Plus tard, le navigateur m'a dit que des morceaux du corps de l'opérateur radio avaient traversé la cloison séparant les deux compartiments et se sont éparpillés sur la table des cartes. Nous n'avons entendu aucun bruit de la civilisation jusqu'à environ 3h du matin, quand un train est passé à quelques centaines de mètres plus loin.
Aux premières lueurs du jour, je me suis dirigé vers la voie de chemin de fer, marchant parallèlement à elle, et à une intersection j'ai trouvé une boite de commutation à proximité. J'ai appelé l'homme de service et il m' a répondu. Il avait vu l'affaire du petit matin (le crash). Il a dit qu'il allait appeler un médecin. Le médecin est arrivé quelques minutes plus tard et nous sommes retournés dans la fôtet jusqu'à ce que nous ayons trouvé mon navigateur. Il lui a donné les premiers soins et a ensuite décidé qu'il devrait nous emmener à un château non loin de là. Parmi le personnel du château, il y avait une nounou anglaise, qui nous a accueillis chaleureusement (chaleureusement n'est pas un mot assez fort) et nous a dit de nous cacher immédiatement dans le sous-bois à côté du château.
Notre avion s'était crashé dans un champ juste derrière leurs granges, et le lieu grouillait d'allemands.
Nous étions tombés dans la province du Luxembourg en Belgique, assez proche du grand Duché de Luxembourg.
Ils nous ont apporté le petit-déjeuner, sous le prétexte de promener leur chien et nous ont recommendé de rester hors de vue jusqu'à la nuit, lorsque la résistance viendrait prendre le relais. Nous étions tellement reconnaissants, d'abord, d'être en vie, mais une prise en charge pour une évasion, c'était bien plus que ce que nous pouvions espèrer.
Vers 11h, ils promenèrent encore leur chien, mais durent malheureusement dire qu'ils ne pouvaient plus s'occuper de nous. Le médecin avait été vu quittant notre planque au début et, comme tous les membres de l'équipage avaient été comptés, il avait été forcé d'avouer qu'il avait traité quelqu'un.
Comme le traitement de premiers secours se dissipait, la douleur de la fracture du navigateur s'intensifiait. Je savais que nous serions obligés de lui trouver de l'aide.
Aux environs de 3h de l'après-midi, nous avons quitté notre cachette et nous nous sommes dirigés vers la route où nous avons rencontré un feldwebel qui prononça les mots fatidiques: "Pour vous, la guerre est finie". Nous avons été emmenés au poste de police locale. Un camion est venu pour nous chercher et s'est dirigé à nouveau vers la route où l'avion été tombé. Ils ont chargé 4 cercueils dans le camion. Comme nous étions sur le point de partir, une voiture s'est arrêtée avec, à son bord, le pilote de la Luftwaffe qui nous avait abattu, ainsi que son supérieur. Nous échangeâmes quelques civilités: " Nous sommes désolés pour la perte de vies humaines, mais lorsque vous venez ici, nous devons vous abattre comme vous le feriez si nous allons en Grande-Bretagne." Il parlait un anglais parfait. Il était diplômé de l'université de Manchester. Il pilotait un Me-110. Il nous expliqua qu'il s'était approché à 100 mètres de notre avion et qu'il avait ouvert le feu et a précisé qu'il avait "cisaillé" notre antenne.
Nous sommes alors partis vers une destination inconnue. Le voyage a duré entre 4 et 5 heures. Nous ne savions pas où nous étions mais il s'est avéré que nous étions dans la périphérie de Bruxelles. Là, ils ont emmené le navigateur pour le soigner, et ce fut la dernière fois que je le voyais, avant de le revoir à Londres après la guerre.
Le matin suivant, je fus emmené à la gare et j'embarquai dans un train qui passa par Cologne et Frankfort. A Frankfort il y avait un camp de transit où les aviateurs étaient interrogés jusqu'à ce qu'il y en ait suffisamment que pour procéder au tri et les envoyer dans un camp définitif.
Au cours de ce voyage en camion vers Bruxelles, le navigateur, pour faire passer le temps, engagea une conversation à bâton rompu avec un garde allemand. Ce dernier rentrait en permission à Berlin et c'est avec nous qu'il finissait sa mission. Le navigateur avait fait partie d'une équipe de football qui avait régulièrement été à Berlin. Là, il avait rencontré une fille avec qui il avait entretenu des relations jusqu'au déclenchement de la guerre. Le garde a demandé s'il connaissait son adresse à Berlin et nous avons été étonnés d'apprendre qu'il allait à une adresse à quelques portes de celle de la petite amie du navigateur. Le garde a dit qu'il allait lui donner de nos nouvelles dès le lendemain. Nous nous sommes dit "le monde est petit".
De tout ce que l'on peut tirer des statistiques, il apparait que lorsqu'un avion est en feu, comme l'était le nôtre, 12 secondes de plus,et personne n'en sortait vivant.
Nous avons récemment découvert que notre squadron leader était inhumé avec les 4 autres corps, au cimetière de Neufchâteau, en Belgique.
De notre séjour au Stalag Luft III près de la frontière polonaise, de nombreux évènements reviennent à l'esprit. Outre l'intêret que nous portions à la situation de nos troupes combattantes, notre problème immédiat était de garder le moral. Les mois de juin, juillet et août 1942, où très peu de colis de la Croix Rouge nous ont été distribués, furent en effet une période très difficile.
Dès la mi-1943, le théâtre que nous avions construit, nous apporta de grandes satisfactions au travers de diverses pièces, comédies musicales, débats et services religieux.
Ensuite, les évènements nous ont conduit à la grande évasion et au redoutable matin, quand la Gestapo nous a informé que 50 des officiers évadés avaient été fusillés.
A la fin de janvier 1945, on nous a fait marcher vers l'ouest pour échapper aux russes. Nous y étions préparés car nous avions entendu les tirs d'artillerie venant de la direction de Breslau.
Puis, le 10 avril, on nous conduisit à travers la campagne de Marlag, au sud de Brême jusqu'au sud de Lübeck où nous avons été libérés le 02 mai 1945 par un char des diables rouges. Un avion de transport nous emmena à proximité de Londres, la veille du jour de la capitulation de l'Allemagne. Nous avons atterri dans une douce et légère pluie. Individuellement, nous avons été accueillis par une charmante WAAF ( corps féminin auxiliaire).
Nos trois ans de cauchemar venaient de prendre fin. Et ça , c'était bien vrai !